Aguirre ou la Chaise à porteurs
2024
François Klein a cofondé Hélicoop dans les années 1990, créé en 2006 avec quelques amis la Biennale d’art sur le Sentier des Passeurs, et de fait, participé à toutes les biennales.
Pour le 10e opus, il réalise cette sculpture comme un arrêt sur image, entre continuité et rupture. Vert ailleurs, lorsqu’on vit dans les Vosges, nous invite forcément à nous projeter loin de nos forêts de sapins !
Parmi les déplacements puissants qui font l’art ici, il est une référence importante pour François Klein : l’immersion de Werner Herzog, sa troupe et sa caméra dans la forêt amazonienne. Le film Aguirre, la colère de Dieu (1972), plonge dans la puissance paroxystique de cette jungle pour y observer la folie humaine, contemporaine et mythologique à la fois, produisant un enchaînement tragique de situations.
Pour réaliser une sculpture qui s’empare du Vert et de l’Ailleurs, de la folie des hommes et des strates mythologiques de la forêt (y compris vosgienne), François Klein a figé l’image de l’une des scènes les plus frappantes, entre fleuve et forêt, dans laquelle des femmes s’emparent d’une improbable chaise à porteurs.
Déplacée de l’Amazone sur le paisible étang de Quieux, la sculpture Aguirre ou la Chaise à porteurs recontextualise le délire prémonitoire condensé dans le film de Werner Herzog.
Aguirre est le délire inversé des vivants, la volonté s’affolant de son trop-plein, la déconstruction de la planète et le début de l’exploitation de la nature par l’homme. […]
Il faudra alors arrimer les jungles à notre civilisation de conquistadors ultimes. Il faudra alors que le monde se désarticule, que les jungles se rebiffent, que les cours d’eau charrient des colères. […]
Aguirre est le début de notre catastrophe ; il signe l’hubris écartelée sur les jungles des mondes, en dépit des morts peuplant le radeau de la méduse des désincarnés ultimes. […]
Et lorsque l’encre a disparu, bue par un déséquilibré l’ayant prise pour une potion ultime dans les images de la faim et de la soif, alors l’écriture du narrateur disparaît, et avec elle la civilisation imbue d’elle-même, royale et conquérante.
BARBUSSE, Anne, Aguirre, la colère de Dieu, revue Fragile, 17 juin 2022, https://fragile-revue.fr/l-oeil/aguirre-la-colere-de-dieu/